Yves Viollier "Raymonde"

Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'efforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"

«Je ne suis pas assez méchante pour me donner en exemple» Sab plagiant Louis Ferdinand Céline

vendredi 18 février 2011

La postérité n'est qu'une caricature d'éternel....

Un texte issu du "Musée de l'homme" François Nourissier.




"L'homme né il y a cent ans pouvait encore croire, le moment venu, qu'une œuvre ferait à son destin un beau bagage. Il allait occuper une place. N'importe où : dans la société, le dictionnaire, l'histoire des idées ou le chapitre approprié d'un Traité de Littérature. On a soldé cette illusion-là vers 1920. Nous avons mis du temps à nous en rendre compte mais c'est fait. La postérité n'est qu'une caricature d'éternel. De ce point de vue-là, nos carottes sont cuites . Nous ne pouvons plus nous camper dans la noble posture du créateur : on entendrait les ricanements  jusqu'à Nanterre, jusqu'aux tortueuses ruelles d'Avignon-sur-scène. On nous a cassé notre jouet il y a un bon demi-siècle. Les casseurs ont été les premiers pris à leur piège : l'un a tourné gourou américain, l'autre poète élégiaque, le troisième évêque à Montmartre, un stylo sec en guise de crosse, le quatrième génie à tout faire, politicien-policier. Et j'en passe. Nous avons eu beau défiler dignement devant les garnements qui rigolaient, nos grans hommes en "Pléiade" sous le bras et des citations plein la mémoire, la dérision a fait autour de nous la terre brûlée. Nous pouvons être satisfaits de nous mêmes, peaufiner l'ouvrage dans le silence de nos maisons, écouter le jacassement flatteur des dernières dames à chapeaux et à salon _ si nous sortons dans la rue, inutile d'imaginer le square où trônera un jour notre tête en bronze. Une œuvre ne tient plus devant la fureur idéologique ; elle ne tient plus devant la mine moqueuse des jeunes gens ; elle ne tient plus devant le hâtif nivellement des singularités, la rage de bonne santé universelle. reste à savoir si elle tiendra devant la mort - mais c'est une question au for intérieur. La poser n'est pas la résoudre. Nous devons nous obstiner à faire comme si, sans connaître la réponse : je n'écris pas pour les "happy few", je n'écris pas pour être "riche et considéré" - merveilleuse réponse  de Giraudoux à une enquête journalistique - je n'écris pas pour servir le prolétariat ni défendre les bourgeois mes frères, je n'écris pas pour détruire l'écriture, je n'écris pas pour douloureusement déplorer que le texte soit devenu à lui-même sa matière et sa fin, je n'écris même pas pour mon plaisir - j'écris pour ne pas éclater de rire, le matin, quand je vois au miroir les rides de mon museau.
Rassurez-vous : cet exercice de sérieux se déroule sans témoin dans la solitude de ma salle de bain."

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