IMMORTELLE FRANCOISE SAGAN !

 "Oyez, oyez, bonnes gens, c'est moi qui vous le dis, tant pour cent de vous vont connaître un grand amour, tant pour cent vont comprendre quelque chose à leur vie, tant pour cent vont être à même d'aider quelqu'un, tant pour cent mourront (et bien sûr, cent pour cent mourront), mais il y en aura tant pour cent avec le regard et les larmes de quelqu'un à leur chevet." C'est là, le sel de la terre et cette fichue existence. Ce ne sont pas les plages qui se dévident dans des décors de rêve, ce n'est pas le Club Méditerranée, ce ne sont pas les copains, c'est quelque chose de fragile, de précieux que l'on saccage délibérément ces temps-ci et que les chrétiens appellent "l'âme". (Les athées aussi, d'ailleurs, sans employer le même terme). Et cette âme, si nous n'y prenons pas garde, nous la retrouverons un jour devant nous essoufflée, demandant grâce et pleine de bleus... Et ces bleus, sans doute, nous ne les aurons pas volés". Françoise Sagan

J'ai fini dans la semaine "Des bleus dans l'âme" de Françoise Sagan et je ne peux qu'être éblouie par la justesse de ses propos. Elle avait écrit ce roman essai en 1972 et je ne peux qu'être étonnée de constater l'avant gardiste de ses écrits. On aurait dit que ce livre a été écrit en 2010, il y a quelques mois. Rien n'a changé malheureusement.

En fait Françoise a écrit un roman avec à la base une historiette, Sébastien et Eléonore, frangins inséparables qui ont le dont de vivre aux crochets de tous ceux qu'ils croisent. Une histoire sans trop de relief, voire lassante au bout de quelques pages. Mais là ou vient le génie de Françoise Sagan, c'est qu'elle entame à chaque chapitre une discussion avec le lecteur. Elle raconte ses doutes, sa façon de travailler. Un vrai dialogue. Elle n'avait pas internet mais aurait pu l'utiliser ainsi. Elle en profite pour faire sa critique de la société, de l'attitude de ses lecteurs avec une ironie implacable. Rien ne lui échappe. Le suicide, ce qu'on appelle le nouveau roman qu'elle fustige avec véhémence, la sexualité au centre de la société (qu'elle dit dégradante).

"Tous ces paquets, ces tonnes de chair humaine qu'on nous a jetés à la figure ces temps-ci, bronzés, pâles, debout, assis, couchés, quel ennui ! Le corps, son plaisir est devenu, lui aussi, un bien de consommation. Les pauvres... Ils croyaient détruire des préjugés ridicules, ils ont abîmé une mythologie superbe"

Je vous propose un  autre exemple. Ouvrez la page politique de votre quotidien et lisez ceci :

"Et tous ces crétins qui s'occupent du "peuple" qui parlent du "peuple", avec quelle touchante maladresse dans leur redingote de gauche, épuisante à la fin dans ce souci qu'elle nous donne, à nous qui haïssont la droite, de les défendre, d'empêcher un fou furieux (ou un calme) n'en fasse vraiment - de cette misérable redingote- une loque impossible à mettre. Le peuple"

Ou vous cachez vous Françoise Sagan ? Votre mort c'était du baratin. Vos propos décrivent excatement le parti socialiste actuel !!!!

Tout comme les conflits entre générations. Ils étaient présents bien avant la réforme des retraites.

"Mais l'épouvante des choses : cette violence perpétuelle, partout, ces malentendus, cette colère, justifiée si souvent, cette solitude, cette impression d'accélération vers un désastre. Ces jeunes gens qui déjà ne se supportent plus entre eux - tellement on la leur a jetée à la tête - cette idée de perdre un jour leur jeunesse, et ces gens "mûrs" qui, eux refusent de vieillir de toutes leurs forces depuis trois ans et se débattent. Et les femmes qui veulent être égales aux hommes, et les bons arguments, la bonne foi de certains et le grotesque inexorable des autres, humains quand même et soumis au même Dieu, qu'ils veulent renier, le seul : le Temps. Mais qui lit Proust ?"

Françoise Sagan deviendrait obligatoire si on veut faire science Po... 

Je me suis régalée de faire ce bout de chemin avec elle. J'avais l'impression que ce livre m'était destinée, que je l'entendais parler. Sa voix était avec moi.  Je m'y retrouve dans ce portrait.

"Un jour, je parlerai de feuilles de paye, de voitures à crédit, de télévision, et de gens normaux. S'il en reste. Avec tout ce que leur inflige. Je connais des gens qui ont des voitures comme des petites boites métalliques et que les embouteillages au milieu de cette bonne vieille chère pollution réjouissent secrètement. Ils mettent une heure, une heure et demie entre leur bureau et leur maison et ils sont contents. Parce que, pendant une heure ils sont seuls dans leur petite boîte. Personne ne peut les joindre, leur parler, les "agresser", comme disent les psychiatres. Faites avouer cela à un homme ou une femme qui travaille... La voiture abri, igloo, sein maternel, etc. Oui, ce n'est pas à mon sens, un instrument d'agression que les hommes nettoient le dimanche avec de petits chiffons spéciaux, c'est leur solitude et leur seul luxe".
  
Quel regret qu'elle n'ait pas eu le temps d'enregistrer des audio livres. Sa voix aurait fait des merveilles. Elle qui lisait à haute voix ce qu'elle écrivait. Elle aurait adopté ce système de partage. Imaginez Sagan dans notre autoradio pendant un long trajet...

Merci à Denis Westhoff, Merci grâce à vous on redécouvre votre maman, je n'ai plus le cafard de finir un de ses livres. Je sais désormais que je pourrais en lire d'autres, que j'en trouverai dans ma librairie. Et ça n'a pas de prix à mes yeux...