Yves Viollier "Raymonde"

Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'efforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"

«Je ne suis pas assez méchante pour me donner en exemple» Sab plagiant Louis Ferdinand Céline

mercredi 13 octobre 2010

L'interview d'Yves Viollier de Bernard Clavel

Toujours issu du Site "La Vie". Yves Viollier avait interviewé son ami en 1991... Souvenirs....

Interview du 11/07/91
Bernard Clavel : une plume à tous vents

Yves Viollier - publié le 11/10/2010

Il est incontestablement le chef de file d'une vraie littérature populaire. A soixante-huit ans, Bernard Clavel poursuit tranquillement une oeuvre qui ne comprends pas moins de soixante-dix ouvrages. De livre en livre, cet éternel errant nous a promenés de son Jura natal à Lyon et jusqu'au Grand Nord québécois, où il avait pour un temps posé son sac. Le voilà de retour dans le pays de son enfance avec son dernier roman, « Meurtre sur le Grandvaux », récemment paru aux éditions Albin Michel.




Pour rendre hommage à Bernard Clavel, mort à l'âge de 87 ans le 5 octobre dernier, La Vie a plongé dans ses archives pour ressortir cette interview réalisée par Yves Viollier, parue dans notre magazine le 11 juillet 1991...

Il semble le calme fait homme et pourtant....il n'arrête pas de voyager et de faire ses bagages. Il vient à nouveau de déménager, après avoir habité au Québec, en Suisse, puis en Irlande, le revoici en France. Je n'arrête pas de bouger , dit-il, J'avais commencé d'écrire « Meurtre sur le Grandvaux » en Irlande, je l'ai terminé en Provence. C'est que je n'écris pas facilement...Je digère lentement les choses. J'ai besoin de recul. Meutre sur le Grandvaux, c'est une sorte de tragédie antique. L'histoire d'un père, Ambroise, qui tue sa fille et l'amant de sa fille et qui mourra à son tour tragiquement. Il est grandvallier, c'est-à-dire roulier au long cours et transporte sur un chariot des marchandises dans tout le Jura.

« Il y a longtemps que je voulais écrire le roman de la lutte des rouliers contre l'installation du chemin de fer, dit Bernard Clavel. Avant même de publier Le seigneur du fleuve ».

Parlons justement du fleuve. Le Rhône a beaucoup compté dans votre vie.

Oui, c'est au Rhône que je dois d'avoir écrit. J'habitais Vernaison, au sud de Lyon. J'ai commencé à le peindre. Il m'est entré dans la peau. La peinture ne m'a pas semblé suffisante pour l'exprimer dans son prolongement. J'ai donc situé mon tout premier roman sur le Rhône. Ce livre était mauvais, il n'a pas été publié. Hervé Bazin, qui m'avait lu, est venu me voir et m'a dit : « Je crois que vous avez ce fleuve en vous. Mais c'est un trop gros morceau pour un débutant ». Dans L'ouvrier de la nuit, mon premier roman publié, j'ai fait une petite place au Rhône, puis une plus grande dans Pirates du Rhône. Et Bazin m'a dit encore : « Tu ne t'es pas vraiment coltiné avec lui ! Longtemps après , j'ai publié Le Seigneur du fleuve . Et un jour que nous avions une réunion « Chez Drouant », là où se retrouve le jury du Goncourt, Bazin m'a pris à part : « Souviens-toi de ce que je t'avais dit. Maintenant tu l'as. Tu viens de faire un grand livre. Tu fais honneur à la compagnie ! ».

Vous êtes un homme de l'eau ?

Je m'aperçois que, partout où je me suis installé, un cours d'eau imprimait sa marque au paysage, le Doubs à Dôle, le Rhône à Lyon, le Saint-Laurent à Montréal, l'Harricana plus au nord....

Et la mer ?

Je ne la connais pas suffisamment. Je l'ai découverte avec Mac Orlan. Il vivait complètement isolé sur ses vieux jours. Quand j'arrivais, il me demandait : « Sais-tu pourquoi les solitaires ont le nez épaté ? Parce qu'ils se le sont trop écrasé contre la vitre pour voir s'il vient quelqu'un ! » C'était un fabuleux conteur, il me racontait les ports et les marins de Bretagne. Pendant plusieurs années, je lui a proposé de l'y emmener. Mais il refusait de partir à cause de son perroquet, puis de son chat. Nous n'y sommes jamais allés ensemble. Mais j'ai découvert la mer à travers lui.

Vous êtes aussi un homme de la terre ?

Je n'aime que les terres qu'habitées. A Lyon, j'ai vécu des années à la fois les plus heureuses et les plus malheureuses de ma vie. J'étais à Vernaison. Je faisais partie de la société de sauvetage. On intervenait pour les inondations. J'ai connu les mariniers. Avec eux, j'ai descendu le Rhône. Ce fleuve, c'était la puissance. Je n'irais plus maintenant en habiter les bords, parce que ce n'est plus le Rhône. On l'a canalisé. Je ne crois pas que ça serve à grand-chose.

Avec Lyon, maintenant, le cordon est coupé ?

Pas du tout. Quand nous descendons de Paris, Josette (sa femme) et moi, nous nous arrêtons voir nos amis. Nos médecins sont à Lyon, et même le dentiste. La ville massacrée me fait un peu mal. Ce tunnel sous Fourvière est une aberration. La ville est tellement envahie par les autos, on ne peut plus y marcher. On a supprimé le magnifique pont de la Guillotière, et on est maintenant en train d'esquinter l'Opéra.

Lyon est donc votre ville ?

Ma ville, c'est tout de même Lons. Pourtant, Dieu sait que c'est là que j'en ai le plus bavé ! Mais aujourd'hui, pour moi aller à Lons... c'est faire une visite à des tombes, celles de mes parents et de ma tante. « Quand on a plus de copains au cimetière qu'en ville, ça devient inquiétant ». disait Dorgelès. C'est à Lons que j'ai passé mes années les plus enrichissantes, je les ai racontées dans La maison des autres. J'y ai fait l'expérience de la saloperie humaine et de la solidarité ouvrière.

Soixante-dix livres derrière vous, Bernard Clavel ! Vous voilà reconnu, vous n'êtes pas dans le besoin. Qu'est-ce qui vous pousse toujours à écrire ?

La peur de l'ennui. Si je n'écris pas je m'ennuie. J'ennuie ma femme. Ce que j'ai fait, ce n'est rien du tout. Regardez Simenon... J'écris parce que c'est ma nature. Les personnages sont là, ils attendent. Et parfois finissent par se lasser d'attendre. Le livre qu'on n'écrit pas quand il doit s'écrire, on ne l'écrira jamais. J'ai la chance de pratiquer un métier formidable. Vous en connaissez d'autres qui peuvent se permettre de devenir marinier en 1840 ? Ou qui ont la faculté de se transporter au XVIIème siècle dans l'univers de La saison des loups ? c'est le privilège de l'écriture.

Il y a des choses que vous regrettez ?

Bien sûr, comme tout le monde. Mon premier regret, c'est que mes parents soient morts avant que j'aie encore rien fait. Ils sont sûrement partis tous deux en se disant que j'allais crever de faim, que je m'obstinais dans une impasse. Chaque mot est donc encore une victoire pour moi. De toute façon il n'y a pas un de mes personnages que mes parents n'auraient pu connaître. Je ne serais pas capable de mettre en scène un milliardaire.

Vos romans s'achèvent généralement mal. Quel est votre motif d'espoir ?

La chaleur humaine. En même temps, je me dis que ce n'est l'homme qui peut sauver l'homme. On voit très bien que le monde fait tout pour mourir. On n'est pas sortis d'une guerre que tout de suite on se dépêche d'en préparer une autre. « Le monde ne sera sauvé, s'il peut l'être, que par des insoumis.... », écrivait Gide. Malheureusement, les insoumis ne sont pas en assez grand nombre.

Et Dieu ?

Dieu me déçoit en laisse faire tout ça. De plus en plus de gens meurent de faim, et une minorité gaspille de plus en plus de pognon. En vendant des armes, on gagne de plus en plus de fric. Ce constat, n'importe qui peut le faire, croyant ou athée. Dieu ? j'ai vu mourir de la même maladie Casamayor, l'athée, et Cesbron, le croyant. Ils sont partis tous deux aussi lentement et dans la même sérénité, souriants, étonnés, avec la même force, en restant dignes.

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