Yves Viollier "Raymonde"

Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'efforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"

«Je ne suis pas assez méchante pour me donner en exemple» Sab plagiant Louis Ferdinand Céline

dimanche 3 juillet 2011

LA CRISE DE L'EDITION VUE PAR CELINE EN 1955



J'en arrive à croire que c'est pas l'anti sémitisme de Céline qui dérange, c'est son caractère lucide et visionnaire surtout. Ce qu'il raconte en 1955 dans ce petit livre "Entretiens avec Professeur Y" c'est ce qui se passe actuellement en France. Il aurait rigolé avec nos méthodes de téléchargement sur internet ou même les tournées de promos des écrivains...


Extrait :


La vérité, là, tout simplement, la librairie souffre d'une très grave crise de mévente. Allez pas croire un seul zéro de tous ces prétendus tirages à 100 000 !  40 000 !... et même 400 exemplaires !... Attrape-gogos ! Alas !... Alas !... seule la «presse du coeur»... et encore !... se défend pas trop mal... et un peu de la «série noire»... et la «blème»... En vérité, on ne vend plus rien... c'est grave !... le Cinéma, la télévision, les articles de ménage, le scooter, l'auto à 2, 4, 6 chevaux, font un tort énorme au livre... tout «vente à tempérament» vous pensez ! et les «week-ends»!... et ces bonnes vacances bi ! trimensuelles !... et les Croisières Lololulu !... salut petits budgets !... voyez dettes !... plus un fifrelin disponible !... alors n'est-ce pas, acheter un livre !... une roulotte ? encore !... mais un livre ?... l'objet empruntable entre tous !... un livre est lu, c'est entendu, par au moins vingt... vingt-cinq lecteurs... ah, si le pain ou le jambon, mettons, pouvaient aussi bien régaler, une seule tranche ! vingt... vingt-cinq consommateurs ! quelle aubaine !... le miracle de la multiplication des pains vous laisse rêveur, mais le miracle de la multiplication des livres, et par conséquent de la gratuité du travail d'écrivain est un fait bien acquis. Ce miracle a lieu, le plus tranquillement du monde, à la «foire d'empoigne» ou avec quelques façons, par les cabinets de lectures, etc..., etc... Dans tous les cas l'auteur fait tintin. C'est le principal ! Il est supposé, lui l'auteur, jouir d'une solide fortune personnelle, ou d'une rente d'un très grand Parti, ou d'avoir découvert (plus fort que la fusion de l'atome) le secret de vivre sans bouffer. D'ailleurs toute personne de condition (privilégiée, gavée de dividendes) vous affirmera comme une vérité sur laquelle il n'y a pas à revenir, et sans y mettre aucune malice : que seule la misère libère le génie... qu'il convient que l'artiste souffre !... et pas qu'un peu !... et tant et plus !... puisqu'il n'enfante que dans la douleur ! ... et que la Douleur est son Maître !...(M. Socle)... au surplus, chacun sait que la prison ne fait aucun mal à l'artiste... au contraire !... que la véritable vie du véritable n'est qu'un long ou court jeu de cache-cache avec la prison... et que l'échafaud, pour terrible qu'il apparaisse, le régale parfaitement... l'échafaud, pour ainsi dire, attend l'artiste ! tout artiste qui échappe à l'échafaud (ou au poteau, si vous voulez) peut être, la quarantaine passée, considéré comme un farceur... Puisqu'il s'est détaché de la foule, qu'il s'est fait remarquer, il et normal et naturel qu'il soit puni exemplairement... toutes les fenêtres sont louées, déjà, et à un prix fort, pour assister à son supplice, le voir grimacer, sincèrement ! Place de la Concorde, par exemple... la foule arrache déjà  les arbres, en fait qu'un espace vide immense des Tuileries ! pour mieux lui regarder sa binette, quand on lui coupera le cou doucement, tout doucement, avec un tout petit canif... la fin du clown, celle qu'on attend, c'est pas tellement qu'il soit cocu, mièvre réjouissance ! c'est qu'on le ligote sur le chevalet ! ou sur la route ! et qu'on le fasse là hurler quatre... cinq heures... c'est ce qui se prépare pour l'écrivain ! clown aussi !... pardi !... il n'arrive à échapper à ce qu'on lui mijote que par roublardise, larbinage, tartuffiages, ou par l'une des Académies... la grosse ou la petite, ou une Sacristie... ou Parti... autant de refuges bien précaires !... pas d'illusions ! comme ils tournent mal, et souvent, ces soi-disant «refuges» !... et ces «engagements»... héla ! hélas !... même pour ceux qu'ont trois ou quatre «cartes»!... autant de pactes avec le Malin !...

Au total, si vous regardez bien, vous verrez nombre d'écrivains finir dans la dèche, tandis que vous trouverez rarement un éditeur sous les ponts... n'est-ce pas cocasse ?

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